ENCORE UN EFFORT
Ça tire, ce dernier jour, jusqu'à l'avion de l'après-midi. Une matinée no man's time temps libre. Ambiance, c'est bon, j'ai fait le tour, plus rien à signaler, faut attendre que ça se passe, de café en terrasse. Les cristaux qui nous sortent pas les têtes. Raz la casquette de tous les germaniques, italiques et hispaniques en goguette. Saturé de tous ces tracts à ne pas jeter sur la voie publique avec leurs Vivaldi pas chers, les city-tours en long en large et en travers, les trucs pornographiques, les bons changes de l'Euro. La tête qui éclate de voir tous ces usages de faux, du baroque à l'Art nouveau. Il a fallu 30 ans pour revenir ici. A 56 ans, la prochaine fois cela nous fera 86 ans. On sera peut-être sous un autre régime. On se foutra peut-être de toutes ces verroteries, dorures et autre enluminures. On pourra revenir à pas cher, keep cool dans le centre-ville car les hôtels et fast-food seront en manque et au client on déroulera le lapis rouge. Mais bon, on en n'est pas encore là !
PATINES ET FISSURES
Crépis décrépis, les ponceuses ne sont pas parvenues après l'Avenue de Paris. Des vraies herbes folles dans une ville trop sage avec des hommes vrais hommes qui pissent sur les fentes des façades. Ça sent le moisi, le vermoulu, les serrures sont rouillées et les portails crient à l'huile. Il fait bon vivre à Prague derrière l'Avenue de Paris. Tout comme dans les encore lugubres ruelles du faubourg Josefstadt de Vienne. Avec ces relents de salpêtre dans la tête, les cafards accrochés aux fissures que l'on a tout le loisir d'observer en urinant sur les murs -on n'a pas le choix, car les sanisettes Decaux à 1 Euro n'ont pas encore fait le voyage jusqu'à Prague. Ouais, il Y a comme du, _
Kafka dans l'air. Les hordes étrangères ne s'aventurent pas jusque là. Elles préfèrent les larges artères propres sur elles, dans lesquelles, comme les tortues romaines, derrière leurs drapeaux nationaux, ces groupes compacts faisant bloc contre un bien improbable agresseur arrivent à se croiser sans se heurter. On trouve même ici des bancs pour amoureux ou pour personnes âgées dans le petit square qui jouxte le cimetière, la synagogue et les échoppes juives, paradis des rabbins-marionnettes et des kippa made in China. C'est dur ici de s'imaginer le destin tragique de millions d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards exterminés par les nazis. Comme y invitent les tours opérateurs, avec un billet unique, on peut aller se recueillir à Theresienstadt ; pour le prix, la visite de la synagogue et du cimetière sont compris. C'est une promo de fin d'été dont on peut profiter comme de ces chandeliers en léger alliage cuivré -trois emportés pour deux achetés.
Non, nous n'irons pas nous frapper la poitrine à Theresienstadt. Avec cette Année du Brésil, on a déjà assez pleuré sur les gamins des favelas. Nous n'achèterons pas non plus les 3 candélabres à 6 branches ni ne coifferons pas la kippa synthétique pour faire couleur locale. Nous ne succomberons pas non plus à la tentation de se faire le super concert du soir aux chandelles et
en costumes d'époque après le plat de canard au chou rouge dans une gargote polyglotte. On finira la journée, à quatre stations de métro d'ici, - n'importe où pourvu que ce soit hors de ce monde - assis à la terrasse d'un café avec une patronne qui s'essuie à sa blouse blanche, loin des Juifs historiques, loin des touristes, loin du cirque de tous les faux théâtres noirs et autres pacotilles.
Prague, août 2005
QUELLE HISTOIRE !
L'Histoire de la Tchéquie en raccourci ressemble fort à une bande dessinée dont les enfants sont friands et qui, vue de plus grands pays ressemble à une grand ouragan dans un verre de Bohême rempli d'eau. Moraves, Habsbourg et tout un tas de dynasties de passage, on n'est pas dans l'Europe centrale pour rien, tous ces rois, ducs et burgraves se guerroient, se crêpent la perruque par lansquenets interposés. De quoi faire une nouvelle tapisserie de Bayeux, une version slave des 'Rois maudits' ou des dessins à colorier. Pourtant, tous ces champs de bataille qui n'ont pas attendu Austerlitz, ces combats d'alcôve, ces défenestration - spécialité de la région, tous ces trucs à couteaux tirés entre gens civilisés, armés jusqu'aux dents et pourtant pas si blancs que neige,c'est plutôt tragique, non?
Bon, on parle de la Tchéquie, mais pour la Hongrie, la Pologne, la' Bulgarie, c'est blanc bonnet et bonnet blanc. On se comporterait comme ça aujourd'hui à l'école et ce serait le renvoi définitif. On espérait qu'avec l'Europe, ils allaient se calmer et qu'il auraient un peu peur du gendarme de Bruxelles une fois. Et bien non, la Slovaquie a claqué la porte à la Tchéquie. Finie la Tchécoslovaquie. Ça ne changera rien vu d'ici. Si seulement ils en avaient une bonne fois fini. Mais non, maintenant, ce sont les minorités qui ne savent plus sur quel pied danser. En attendant, il faut bien positiver, leurs histoires de Je t'occupe, tu m'occupes, ça laisse des traces, ça fait de beaux monuments qui, une fois ravalés, attirent à nouveau les méchants voisins devenus braves et gentils visiteurs d'un soir. A moins qu'ils n'aient à nouveau envie de rester. Ils ne vont tout de même pas recommencer. Et puis, à quoi bon, désormais, c'est à tout le monde, Patrimoine de l'Humanité et basta.
LA BOHEME AUX BOHEMIENS
Prague, la Tchéquie, qu'est-ce qui vient à l'esprit? Dubcek, le Printemps, Havel, des dissidents68, l'écrasement. On ne refait pas son âge. Aujourd'hui, le nouveaux étudiants en mal de chômage et de tout y voient peut-être une possible vie de Bohême. Savent-ils seulement où se niche la Bohême? Eh bien, c'est là où il y a des Bohémiens. Le papa, lui, il sait encore qu'on y faisait les
chaussures Bata pas chères et les Skoda increvables. Mais il faut se rendre à l'évidence. la Tchéquie ne dit pas grand chose à pas grand monde. Kohut, Schweik, c'est pour Is intellos tout ça, de la littérature qu'a rien à voir avec un bon Harry Potter. Mucha, Smetana connais pas. C'est pas obligé non plus pour siroter un Starbuck café juste devant le musée. Mais alors pourquoi les gens
s'y pressent-ils comme desovins organisés ? Oh, on a dû voir un truc dans Geo ou dans « Des racines et des ailes », ou bien y avait une promo à l'agence Leclerc avec un kir royal à l'arrivée, alors il faut bien s'assurer que l'horloge de la mairie est bien plus petite qu'à Strasbourg ou que le Pont d'un Charles quelconque n'est pas aussi beau que celui d'Avignon.
Prague, août 2005
PRAGUE ARTT
Il y a la Callas qui gueule sur le petit poste d'appoint dans la cuisine, gagné avec les points d'Intermarché ; la voix cassée de Gardel se fraie un chemin dans les sillons retravaillés d'un CD reconstitué; la voisine appelle ses deux chiens désobéissants, et, au milieu de ce désastre, on tente, à l'aide d'un guide Hachette demier cri particulièrement chauvin qui souligne la supériorité de l'imagination du génie créatif de notre beau pays de se mettre en condition pour préparer ce long week-end Artt prévu à Prague mais qui aurait pu être aussi bien à Tallinn, à Sofia ou à Riga. Prague 1 Une promo pour cartes Amex et fidèles Flying Blue, la belle union franco-néerlandaise dans une Europe en mille morceaux. Prague prévu pour digérer la déprime du retour du Brésil. Encore que. Deux semaines d'Ipanema et de Copacabana, il faut laisser aux sens le temps de se refaire une-santé. Et vis-à-vis des voisins, aller à Prague ça fait drôlement plus sérieux que de vanter le sable fin.
Prague: dernière sortie, le sas entre l'été et la rentrée. Pas cher, low cost Praha, mais on y est déjà allé. Blasé? C'était il y a trente ans. Au temps de. Quand les autorités n'aimaient pas trop les étudiants occidentaux. On peut donc remettre ça car les souvenirs sont aussi gris que les crépis des murs qui, avec les briques, faisaient la gloire involontaire des édifices de l'ère communiste. Prague, à l'époque, des visas refusés par deux fois. Les cuillers de caviar russe au Belvédère, la maison de Kafka, le cimetière juif, le gars dans la même chambre qui ne pouvait commencer sa journée sans aller tout d'abord quantifier la qualité de son transit digestif, ces librairies et magasins de vieux bouquins qu'on pillait allègrement, Deutsch Mark aidant. A part ces quelques images éparses, Prague n'aura donc rien d'un plat réchauffé. Entre-temps, le régime, la ville et les gens ont changé. on craint désormais de nouvelles hordes germaniques, latines, anglo-saxonnes et bridées de toutes sortes, car les rues y sont étroites et tous s'accordent à conseiller de ne pas fréquenter la capitale en été. Pour les soirées célibataires, la ville a ses spécialités, Prague serait devenue une petite Mecque pour mecs, et pas seulement ceux de Munich qui ont envie de changer de bière. Donc, l'étude systématique et comparée des guides généralistes, des sites sur le net spécialisés et des plans pour se pré-repérer devrait permettre d'approcher quasi scientifiquement les réalités historiques, quotidiennes et sociales de ce haut lieu de la Mitteleuropa. Adresses et emplacements seront systématiquement notées sur un seul et même document afin d'optimaliser ces trois jours ARTT. Quelque part, c'est sécurisant. On logera à l'Ibis, faute de s'offrir une pension réellement typique à la déco rétro mais aux tarifs astronomiques étudiés pour touristes. Kafka, Dvorák, Kafka, Mucha, Smetana. Pas sûr que l'on retrouve leur âme chez les marchands du temple. L'humour tchèque aura lui aussi du mal à pointer dans les échanges du style "Vous vendez des timbres-poste 7 Vous prenez l'American 7", car non, nous ne parlons pas tchèque. Mais nous aurons appelé quelques auteurs grinçants, de froids pince-sans rire qui -comme on lit dans les livres -font partie de l'âme éternelle du pays. La cuisine du jardinier, l'histoire de l'incinérateur, les Bohumil Hrabal et Kundera nous viendront alors à l'aide, perdus que nous risquons d'être désormais entre les chaînes des Douglas, Calvin Klein et autres H&M. Maintenant que la Callas semble s'être cassé la voix, que Gardel a dü succomber à une quelconque attaque et que les chiens du voisins ont avalé leur ration de Frolic, toutes cartes étalés sur la table de la salle à manger, il ne reste plus qu'à lancer la conquête de Prague.
Prague, août 2005
PRAGUE AUX PRAGUOIS
Take off. Une hôtesse tchèque de la Czech, vieille, blondasse pas blondinette quasi revêche. La collation dans son carton réduite à sa plus simple et mauvaise expression. Landing.
ArrivaI. Le driver de la shuttle depuis l'airport jusqu'au center de la city est, lui, jovial et sympathique. Il a appris l'anglais en six mois en drivant sa shuttle de l'airport à la city. Les highways entre les aéroports et le centre des capitales sont toujours déterminants. Premières impressions. A Casablanca, le plus grand bidonville caché derrière un mur, à Alger, tous ces gamins désœuvrés qui regardent la mer. A Ouagadougou, jamais je ne prendrai le volant ici'.
A Prague, ça se construit ; Le business. L'acier et le verre s'installent dans des trous encore béants mais pas pour très longtemps. Le présent a décidé ici de faire la nique aux buildings Jugenstil,à tous ces trucs baroques et machins anciens qui, restaurés à tour de bras au cœur de la cité semblent plutôt regretter que l'on les laisse vieillir en paix. Du temps des communistes, leurs façades pisseuses n'attiraient pas les flashes des Kodak et jetables, d'abord il n'y en avait pas. Aujourd'hui, c'est l'assaut des numériques et la dure proximité de tous ces kiosques à saucisses, des shops à chopes et cache-cols aux couleurs de l'équipe nationale. Des journées bien chargées. C'est qu'elles en voient du monde et puis les nuits sont courtes, car une fois les troupeaux attablés dans les mangeoires aménagés, elles ne peuvent fermer l'œil jusqu'au petit matin puisque maintenant ce sont les fans de 'pivo' qui font, titubant et rotant, la tournée des bistrots. A cinq heures, les façades commencent à respirer, packs et canettes sont ramassées. Déjà les premiers tramways. Les pré-retraités vacanciers sont les premiers levés. Les façades rêvent des temps passés.
Prague, août 2005