Trieste, 2008
C’est la fête de l’Europe. L’Autriche encore toute proche. Le drapeau rouge et blanc et son rapace décharné aux allures de roquet braque ses serres sur les cochonnailles du pays. Le petit marchand de miel slovène ne semble pas faire beaucoup d’affaires. Le centre de Trieste respire encore l’opulence arrogante d’une hautaine bourgeoisie. Beaucoup moins dans les hangars du port où les arbustes poussent entre les pierres ; là où se croisent des visages basanés qui farfouillent dans les discounts pendant qu’un nouveau trois mats rutilant glisse, honteux et fier à la fois.
Ils sont modestes, aujourd’hui, à Trieste. On a donné et bien donné avec les grandeurs, autrichiennes ou italiennes. La coupe est aussi pleine que les cavernes où, entassés, germains, slaves ou latins, les corps, malgré eux, se retrouvent. On en a marre ici de voir se refaire le monde. On a un journal très local, « il piccolo », le petit, pas un nom pour frimer ! On a beaucoup de petites histoires à partager ; elles n’ont pas d’encre à faire couler. Ca, c’est pour la grande Histoire que l’on voudrait ici plus petite.
Sur les façades d’hier, des Hercules en rang d’oignon, perchés en l’air, austères, ils font semblant de porter le toit ou les fenêtres. Rangés, disciplinés, Ces Autrichiens de marbre n’ont, en fait, plus rien à porter. Des figurants oubliés, faute de scénario. Les nouveaux Autrichiens sont les bienvenus. Ils viennent en voisins soupirer aux temps impériaux, Jesus, Sissi, Josef qui mettaient le nord du pays sous leur botte. Juste à côté, le consulat de Croatie, tout petit. Le pays est aujourd’hui ami. A deux pas d’ici. Il n’y a que la Slovénie à franchir, une Slovénie dont les places des villages ressemblent furieusement à l’Italie. La Croatie, c’est Rijeka, l’ancienne Fiume, là encore tout une histoire qui laisse des traces dans les grottes du Kars. A Goriza où passe la frontière slovène, plus au nord, le problème aujourd’hui ce sont les Bengali et autres maghrébins et Asiatiques. La porte de l’Europe par un chemin obligé des écoliers. Si des Nigérians atterrissent ici, ce n’est pas pour continuer visiter la Place Saint Marc. A Goriza, il n’y a rien à voir. Et dans les criques d’Istrie, les rendez vous nocturnes ont moins le goût salé de la sueur des corps que celui de la poudre des nuits blanches. Comme à Lampedusa, beaucoup s’y pressent, et pas pour le climat.
Sur les hauteurs de Trieste, Opicina, ridiculement italienne tout en parlant slovène ; cette Italie là qui tire sa langue à l’est, frustrée aujourd’hui de ne plus atteindre Koper, sa Capodistria aux faux airs de mini Venise où Tartini se retrouve bien seul sur son socle à tenter de tirer de son violon quelques notes endiablées ; Piran, l’ancienne Pirano, le Saint Trop des slovènes de la capitale, heureux d’avoir hérité de ces quelques kilomètres de côtes, à nouveau convoitées par le voisin croate à côté.
Vatican, impressions disparates, 2007
Militaires déguisées, les marches solennelles des clubs de chasseurs allemands et polonais, encuirés, empanachés, bien schnappsés, cliquetant de pacotille, envahissent Saint-Pierre les dimanches où, vu de très loin à son balcon, un pape bonasse invite à la paix au Kurdistan, appele à la charité envers les immigrés.
Les boutiques de souvenirs ne ferment pas le Jour du Seigneur.
A voir toute cette pompe disnollywoodienne et néanmoins pontificale, on a envie de devenir protestant.
Joufflus bouffis, tous ces angelots de marbre font envie aux cathos venus de loin, des Philippines ou de Mexico pour espérer tout au plus un goutte d’eau bénite vite évaporée.
Stendhal a eu un an pour écrire ses promenades romaines. La flânerie, c’est bon pour les riches et les gens pas pressés. Rome en deux jours pas easyjet, c’est tout de même pas pareil qu’une année en calèche. Là, on n’a vraiment pas le temps de compter tous les piliers ou de se pencher sur la vie privée des papes, même si parfois c’est trop drôle de penser que dans l’un des plus beaux palais romains, le Cardinal Farnèse se faisait peindre de jolies fresques coquines sur le plafond de sa chambre à coucher.
Rapport quantité/prix, Rome a l’avantage sur Vilnius, capitale de Lituanie.
Quand on pense que les Américains qui rentrèrent dans Rome pendant la guerre se réjouissaient de voir le Colisée détruit, ravis du succès de leurs bombardements…
Venise, colloque pour la paix au proche orient, 2007
Les collectivités locales européennes soutiennent les communes israéliennes et palestiniennes. Juste une question : à quoi cela sert, toutes ces résolutions, déclarations et protestations ? Le pape et le PS ont en commun d’être les protestataires les plus actifs, sans obligation de résultat. Il y va comme de ces observatoires, conventions, journées de réflexion, colloques, séminaires et universités d’été. On s’emporte, loin du terrain, à Venise, Quito ou Montevideo. On se retrouve entre amis, aujourd’hui au Palais ducal, demain au Sofitel d’Istanbul. Personne n’est dupe ; chacun se sait inutile pour l’Histoire, préoccupé seulement du moment où il pourra caser sa petite phrase qui lui ouvrira ainsi la porte d’un futur colloque avec vue sur la mer.
Toujours présents, la langue rodée et bien tournée, les éternels sous-chefs des sous directions des Affaires étrangères sont toujours très contents malgré leur calendrier chargé de prendre le temps de venir affirmer la présence de la France et excuser leur ministre très occupé qui a dû, au dernier moment etc.
Toujours présents aussi, des jeunes gonflés de bonne volonté, idéalistes et utopistes, mal à l’aise sous les lambris XVIIIème, convaincus du poids de leurs indignations à refaire le monde. Ils se sentent plus constructifs que les militants des manifs, ils n’ont pas peur de retrousser leurs manches dans l’humanitaire, assurés que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Vieux routards des ministères et professionnels des journées nationales les écoutent, polis, blasés, désabusés, souriant condescendants, sachant trop bien que jeunesse se passe.