Envie de partir : Inde, 2009
Créneau possible en fin d’octobre. Envie de partir lorsque les autres restent. Des miles longuement acquis, boostés jusqu’aux 7500. Se dépêcher, avant qu’ils ne partent en fumée à la fin de l’année. Avec ça, l’Afrique, l’Amérique du sud, du Nord, l’Inde….
L’inde ? Un copain en arrive avec une larve dans l’intestin. Quelques clics sur Flying Blue. Oui. Possible à ces dates. Dilemme. L’Inde, c’est grand. En quinze jours, va falloir faire un choix. Pondichéry, Delhi, Jaïpur. Le Kerala, encore un de ces noms magiques, comme, Bangalore, Kochin, Goa, Mumbai. Ce sera ça. OK, réservé, payé, plié.
Cela fait tout drôle. L’appréhension subite de devoir pénétrer maintenant dans une terre inconnue. De la Silicon Valley aux mythes de Bollywood en passant par la généreuse nature de Kochin et les paradis enfumettés et patchoulisés de Goa. Cohérence certaine ou construite de l’itinéraire.
Les Conseils aux voyageurs des Affaires Etrangères, un tas de guides aussi, vous déconseillent ou découragent du voyage si on les prend à la lettre. On se réfugierait volontiers dans une villa à alarme du bassin d’Arcachon. Attention à. Il est déconseillé de. Il faut recourir à la plus grande prudence. Vigilance. Déjà que le monde s’est refermé. On a tout pour devenir casanier.
Lectures conseillées. Tombé sur vacances indiennes d’un certain auteur anglais dont l’humour ne fait pas rire celui qui est sur le départ. Si l’on poursuit avec Pascal Bruckner, on a une brique sur l’estomac et – si l’on en revient – pas sûr que ce soit sains tant du corps que de l’esprit. Autant prendre seulement un billet aller pour commencer. Pour s’arrondir les angles, on se convaincra qu’il s’agit d’un voyage fascinant et dépaysant, enrichissant et déroutant, bref, qu’il ne laissera personne indifférent. C’est la seule cause d’optimisme pour l’instant.
On construit son voyage, pas à pas. Les résas hôtel, ville après ville. Puis la santé. Vaccins à vérifier. Médicaments à préparer. Surtout ne rien oublier. Les au cas-où. Formalités. Visas, comment, combien ? Pendant un temps, on continuera ses lectures décourageantes. Le voyage se met de plus en plus à ressembler à une descente aux enfers.
Un voyage. Pas du tourisme. L’Inde semble vraiment une destination à part. Ce n’est ni le Cambodge ni même l’Afrique. Il s’en dégage déjà quelque chose d’indicible. Avant de partir vous n’êtes déjà plus tout à fait le même.
Bangalore, arrival, 2009
Aéroport. grippe aviaire, les femmes masquées de l’aéroport derrière leurs questionnaires.
Le taxi commandé n’est pas là.
Il est très tard.
Taxis, arnaques en embuscade.
Déjouées, sur le fil.
Départ 4 voies ouf. Arrivée dans le quartier. Paumé, le taxi tourne. Il vire, quadrille les rues sans âme qui vive.
Arrivé, tout de même. Hôtel fermé. Rideaux de fer baissés. Corps allongés. Enjambés. Conciliabules en langue du pays. Le rideau est hissé, à l’intérieur d’autres corps allongés. Sans bouger. Réveillés. On change de côté. Un seul se déplie. Name. Passeport. Signature. Room. OK. Escalator. Chambre. Lit. Welcome in India.
Incredible India, Banglamoche, 2009
Pollutions, klaxons et petits métiers.
Pas une place où se poser.
Pas de café. Marcher, marcher.
Avec un mauvais plan, sans noms de rues affichés.
Mission pourtant réussie. Retour au point de départ sans soucis.
Un parc enfin. De grandes allées toutes droites. Bancs. Un joli cheval solitaire au grand galop.
Dosa : une crêpe dure et brune, lissée, du contre-plaqué, accompagnée d’un thé sucré
Une vache marche. Une vache dort en plein trafic. Personne pour crier: « elle va se faire écraser ».
Les trottoirs ont de gros trous partout. Des nids de très gros oiseaux. Défoncés.
Une autre Algérie.
Manque de chic.
Les avocats mal fringués, perruques sous le bras, ont des jabots de papier. Mal dégrossis, empotés comme les Ambassadors blanches du gouvernement avec leur porte fanion au milieu du capot.
Peu de drapeaux indiens.
Certains flics portent les chapeaux des boers d’Afrique du sud.
Lui, tranquille, il lit les news dans sa guérite en plein milieu du carrefour.
Un coup de sifflet toutes les deux minutes, le joueur de triangle dans l’orchestre.
Ne pas rater son entrée !
Ca klaxonne, slalome, ça fait attention, ça se faufile.
Dur d’être piéton, vaut mieux être vache.
La vache, c’est sacré. Mais les taureaux ? Ils sont où les taureaux ? Mathématiquement ? Il devrait y avoir autant de mâles que de femelles ; Approximativement. A moins qu’ils les donnent aux Musulmans.
Bull temple. Ils le vénèrent. Énigme.
Incredible India à chaque coin de rue.
Silicon valley et quartiers sous-développés.
Priorité aux produits locaux et aux denrées dopées asiatiques.
Le reste, c’est trop cher.
Kochi
Tourisme à développer. Un peu. Pas trop.
Pourquoi les gens ont-ils l’air tous renfrognés sauf quand il y a une pièce à gratter ?
Fernand Raynaud.
Voulez pas un shampoing, voulez pas une lotion ? Tuc Tuc ? Motobike ? Good price. Hallo ?
Délabrements et moisissures.
Petits métiers et grands ouvrages.
Ni Penwicks ni Caterpillars, biceps et mollet, l’huile de bras sur les chantiers.
Les femmes cassent les pierres.
Trop de bouches à nourrir pour faire des histoires.
Les Indiens mangent très vite, à même les mains.
Kathakali. Un théâtre au fond du jardin. La Huchette et sa Cantatrice chauve. Permanent depuis 60 ans. 3 personnes dans la salle, un jeune couple franco-anglais et moi. Le vieux papa a fondé la troupe. La vieille maman encaisse les trois tickets. Les enfants jouent pour les touristes. Les jeunes préfèrent pleurer sur le destin des stars de Bollywood.
Aéroport de Cochin. No smoking comme dans tout l’Etat. « It is forbidden to smoke on the street, Sir !”. Même devant l’aérogare. On peut fumer juste après les dalles. Tout le monde s’y conforme. Règlement very british ! Ils ont aussi laissé leurs badine de bois en héritage, aux flics, aux vigiles, aux gardiens de musée qui frappent les murs par pur ennui et pour ne pas perdre la main.
Un anglais parlé à toute vitesse. Incompréhensible après 6 ans d’études. Un hochement de tête et d’épaule à la Sarkozy qui veut dire Oui ou je sais pas. On en deviendrait presque autiste.
Kingsfisher : pour une compagnie aérienne, ça fait pas sérieux, une marque de bière. C’est comme si l’on volait avec Air Kro ou Heineken Airlines.
Port de Cochin. Eaux nauséabondes et algues envahissantes. Pas de panneau « baignade interdite ». Se purifier dans le Gange…. Ca donne à réfléchir.
Un pays idéal pour le remords et la mauvaise conscience. Money money. Dans la cour de la high school religieuse, les gamins quémandent ; le touriste égaré est une proie facile. Un billet de 100 roupies pour tous. Mais c’est royal et ils détalent tous vers le kiosque le plus proche.
Dans la queue pour le bateau un vieil intello ou pas intello du tout spricht deutsch, speaks english, Bordeaux ! Bremen ! Yes, ja, oui ! Oh vous parlez bien le… ? Oh oui, moi professeur à l’université, mais aujourd’hui, femme partie. Ok, compris et bye !
Le serveur de l’hôtel, celui qui sonne dès 7 heures à la porte de la chambre - Tea, Sir ? breakfast ? Tea ? - No coffee, celui qui apporte tout de même systématiquement du thé, il cherche un easy job, il veut travailler chez moi, faire le ménage etc. Tout est prêt pour son départ : la demande de visa, la photo. Embarrassant.
A noter l’épice Numéro 1 : Masala ! A déconseiller : le poisson à l’étal sur le port de Kochi, sans parler des fruits de mer…
Il se dit brahmane, le mec qui voulait me faire avaler que c’était ce soir la grande fête des éléphants… C’est comme si, un lundi de Pâques, on voulait faire croire à un Anglais, que c’est aujourd’hui le grand défilé du 14 juillet…
Le petit guide avec son questionnaire de stagiaire sur le port de Kochi. Jamais entendu parler de l’écotourisme. Hallo my friend, t’as du boulot. Fort Kochi, dans l’état où c’est, ils ne sont pas prêts à devenir Patrimoine mondial de l’humanité. Tout est resté dans l’état. Les magasins de grain, le paradis des rats. Délabrement, grisaille. Pas étonnant que les dieux indiens soient tous multicolores.
On n’écrase pas les cafards. Le réceptionniste à la chemise rayée à la Nestor de Tintin le prend délicatement et le reconduit presque gentiment à la porte.
La queue pour le bac de Fort Kochin. Partout on entend des paires de claques à défaut d’anti-moustiques à la tombée de la nuit. Resquille, bousculade, on se passe devant effrontément, mais attention, une file pour les hommes et une file pour les femmes pour éviter que les mecs pelotent le cul des filles. Une file indienne.
Goa
Disco sur le pont du bateau. Aller retour jusqu’à la côte. Ladies and gentlemen…. On croise, amarrés, défense d’accoster, les bateaux-casino. Un sikh se déhanche, Un El Hadj veille sur sa marmaille voilée.
Librairies, magasins chrétiens de bondieuseries. Pas drôles les nonnes vendeuses. Jésus Christ fait encore recette ici, pourtant moins drôle que le dieu singe et moins jovial que Ganesh, le dieu-éléphant. C’est pour cela que, dans les églises, ils peignent la vierge et l’enfant de toutes les couleurs. Ca leur donne un air de fête, faut les rendre attachants, sinon les Indiens seraient capables d’adorer l’âne et le bœuf de la crèche.
Internet café. Bas débit assuré, touches effacées sur un clavier anglais. L’exploit pour envoyer un mail. Radar.
Il n’y a pas de vaches dans Goa.
Bizarre de voir des croix gammées, même à l’envers, sur les lampions à l’entrée des maisons. Porte bonheurs. Le svastika allemande était dans l’autre sens. D’où sans doute la défaite des nazis.
Mumbai, 2009
Vu d’avion en descente, les bidonvilles désordonnés encastrés comme des essaims dans le quadrillage des immeubles.
Contrastes des lumières et des obscurités. On repense au survol de Dubai. La féerie. Les routes éclairées du désert, fils blancs dans le noir.
L’arrivée sur la côte indienne, c’est comme la descente sur Ouagadougou. Loupiottes fades et jaunasses.
Drôle de quartier derrière la Gate of India. Là où l’on prend le bateau pour l’ile aux temples creusés dans la pierre ; ses escaliers qui montent qui montent qui montent, bordés de boutiques de pacotille assaillies par les singes prêts à piquer tout ce qui brille et se mange. Ces escaliers trop durs pour les gros british, french ou autres blancs et leurs épouses et qui se font porter en palanquin à bout des 8 bras. Nostalgie quand tu nous tiens !
Drôle de quartier, routardobab lonelybobo. Plus on descend vers le marché plus les boutiques s’indianisent, plus les gens rapetissent, plus leurs peau brunissent, plus les mollets rétrécissent. Transition douce, mais brutale avec la conscience du contraste. Surement des intouchables qui vident, récurent transportent pataugeant dans les flaques, fouillant parmi les boyaux de poisson ; l’odeur fait faire naturellement demi-tour aux non-initiés, aux indiens des beaux quartiers comme aux voyageurs et autres voyeurs.
Marche arrière et retour dans ce curieux mélange des genres derrière l’hôtel encore marqué des traces de l’attentat. Les calèches à voitures argentées garées pour reposer des canassons squelettiques mais harnachés comme pour un numéro de cirque. Décemment, même pour enrichir les cochers de quelques roupies, un touriste ne peut se laisser balader dans les quartiers miteux, tout comme il est dur de se laisser trainer dans les rickshaws , pousse-pousse ou autres tucs tucs à huile de jambe, sans parler des palanquins de l’ile aux singes !
Olympia. Un resto café embrumé, ventilo au plafond en action. Stucs. Il ne manque plus que le Humphrey Bogart de Casablanca. Tenu par des barbus de gris vêtus. Entre, entre pas. Entre. On pense à ces histoires d’enlèvements. Le film parfait. Les barbus sont sont gentils.
Une pâtisserie française. Un petit déjeuner made comme in France en ce dimanche où les klaxons sont muets. Viennoiseries comme à Paris, café black avec du lait comme à Bombay. Saveurs au beurre, rendez-vous avec la France ! Prix dérisoires pour les uns, astronomiques pour les autres. Les autres, c’est derrière la vitre, la femme et ses enfants mendient. Aïe, elle passe mal la viennoiserie. Et les serveurs, apprentis serveurs, serveurs qui servent, serveurs qui prennent les commandes serveurs qui encaissent, toute cette hiérarchie n’a surement droit qu’à ce que laissent ceux qui, indiens nantis ou touristes fauchés, ont eu les yeux plus grands que le ventre.
Post India, 2009
Plus de trois cent photos. Soigneusement collées dans un cahier.
L’Inde en une D.
Absentes, les odeurs du port, ses tripes de poisson abandonnées en plein soleil.
Les épices ramenées du marché condamnées à un triste Tupperware.
Elles n’ont plus la pêche des curries locaux.
Elles s’affadissent aussi vite que les bronzages qui palissent.
Les photos ne sont ni froides ni chaudes.
Elles ignorent la sueur salée qui dégouline.
Elles ignorent les litres d’eau avalés.
Les bidonvilles traversés, les immondices et les visages d’hommes et de femmes qu’on ne prend pas en photo.
Y a pas photo.
Juste un album soft, politiquement correct.
Une Inde ‘safe’ sous préservatif.